Incendie du Reichstag / Des suites du rapport du CST : Pourquoi le clan au pouvoir se fissure, qui lâche qui ?

by mtn on December 6, 2013

Incendiares des marchés de Lomé et de KaraLa publication du rapport du Collectif « Sauvons le Togo » mettant en cause une pléthore de personnalités du régime, civils comme militaires, dans les incendies des deux grands marchés du Togo (Lomé et Kara) n’a pas fini de faire des vagues.  La polémique sur l’authenticité des signatures de certaines entités du CST, suivie du cafouillage qui s’en est suivi n’a pas fondamentalement entamé la crédibilité des faits relatés dans ce document. Les soi-disant démentis de certaines personnalités mises  en cause et les analyses fantaisistes voire surréalistes de leurs flagorneurs de métier n’ont en rien dissipé les accusations qui pèsent sur eux. On a beaucoup misé sur une dislocation du CST, mais là aussi, les divergences ont été aplanies en un jour de conclave. La sérénité semble avoir déserté les rangs des accusés et certains peinent à trouver le sommeil.

 Du reste, il existe des questions pertinentes liées à la publication de ce rapport que ceux qui se disent experts en tout n’arrivent pas à poser dans leurs analyses. Qui a réellement suscité la publication de ce rapport du CST et quel est l’objectif visé ? Pourquoi en ce moment ? Pourquoi la hiérarchie militaire reste –t-elle silencieuse ? Voilà autant d’interrogations qui permettent de comprendre le jeu de l’ombre qui se joue actuellement au sein du pouvoir avec cette scabreuse affaire des incendies qui empoisonne la vie sociopolitique du pays depuis bientôt un an.

 

Un rapport du CST en réponse à une enquête de charlatan  de la justice

Point n’est besoin de revenir ici sur les graves dérives de la justice togolaise dans cette affaire des incendies. Une justice aux ordres qui, au lieu d’ouvrir en bonne et due forme une enquête avec l’exploration de toutes les pistes, s’est uniquement contentée de jeter son dévolu sur les responsables de l’opposition et leurs militants après les soi-disant aveux d’un obscur individu nommé Mohammed Loum,  fortement manipulé pour la circonstance. Le ridicule ne tuant pas au Togo, la superstition s’en est mêlée,  les fameux bidons, les allumettes, la magie noire au cimetière de Kamalodo révélée par le  colonel-ministre Yark  Damehame ont suffi au juge pour constituer le corps du délit et une accusation.

Presque un an après ces incendies, c’est du moins un dossier complètement vide qui a permis d’inculper les responsables de l’opposition et de maintenir certains de leurs militants encore en prison dans des conditions assez effroyables. Jusqu’à ce jour, les Togolais qui n’ont pas encore perdu la raison ou vendu leur âme au diable se posent des questions sur les zones d’ombre de l’enquête que conduit de façon crapuleuse le procureur de la République. Pourquoi aucune enquête administrative n’a–t-elle été ouverte un an après les faits pour situer les responsabilités ?  Pourquoi aucun agent de gardiennage en la charge de la sécurité du marché n’a –t-il été arrêté jusqu’à ce jour ? Pourquoi la directrice du marché, premier responsable de l’endroit n’a-t-elle jamais été inquiétée alors que selon des sources bien crédibles, des traces de kérosène ont été retrouvées sur les murs de son bureau ?  Que cherchaient ce jour du drame, le colonel Félix Essodina Kadanga et ses hommes sur les lieux du drame alors qu’il n’est ni sapeur pompier, ni ministre de la Sécurité ? Pourquoi le reste du marché, un élément précieux de l’enquête a-t-il été précipitamment démoli sans aucune ordonnance du juge d’instruction qui en principe, devait l’avoir mis sous scellé pour les nécessités de l’enquête ?

Un  juge d’instruction soucieux de mener une enquête sérieuse ne peut occulter ces pistes fondamentales qui concourent à la manifestation de la vérité.                Mais dans le cas d’espèce, alors que le marché de Lomé était encore en feu, les premiers coupables ont été déjà identifiés et mis aux arrêts. La suite est une série de manipulations des individus détraqués convertis en accusateurs pour remplir le dossier. Mais plus le temps passe, plus on en sait davantage sur ce qui s’est passé avant, pendant et après l’incendie du grand marché de Lomé, et ceci, par les aveux de certains de ceux-là mêmes qui ont exécuté le sale boulot et qui estiment n’avoir pas été récompensés à la hauteur du risque pris.

Le rapport du CST qui était bouclé depuis des mois, n’est pas une compilation de rumeurs, mais d’informations livrées par des sources bien précises. On sait que dans le cas de l’incendie du grand marché de Lomé, ce sont deux groupes distincts qui ont agi. D’abord les miliciens, ces jeunes que le pouvoir utilise pour terroriser les militants de l’opposition qui ont eu  à dévaliser tous les coffres des femmes du marché pour en extraire de l’argent après un travail de reconnaissance du terrain ; ensuite un groupe d’artificiers professionnels qui s’est chargé de mettre le feu. Le butin emporté après la casse  des coffres des femmes  est estimé entre 1 milliard 800 millions et 2 milliards. Une partie de ces fonds a mystérieusement disparu et le partage du reste a vite constitué une pomme de discorde entre ces jeunes qui ont commencé par livrer des informations. Certains sont d’ailleurs portés disparus aujourd’hui.

Toutes les informations sur le scénario des incendies étaient dans les mains du CST depuis des mois. Pourquoi avoir choisi la publication de ce rapport à la veille du départ de Faure Gnassingbé pour sa visite officielle à Paris ? Est-ce un coup pour freiner le zèle du procureur Blaise Poyodi qui s’apprêtait à clôturer le dossier et envoyer les accusés devant la Cour d’assises ? Qui profite au bout du compte de la publication de ce rapport ?

 

Le profil de certains mis en cause et leurs positions actuelles au sein du pouvoir

Ce rapport du CST met fondamentalement  en cause le vrai noyau dur du pouvoir. Un groupe de civils et de « sécurocrates » du régime qui a longtemps conspiré à la chute d’autres membres influents du système. Ce groupe des durs aux cotés de Faure Gnassingbé avec l’aval de ce dernier s’est payé la tête de Kpatcha Gnassingbé et tout son clan, écrasé et réduit au silence depuis. Ensuite, ils se sont occupés de Pascal Bodjona dont la chute fracassante et l’humiliation en cours continuent d’alimenter les débats. Mais cette union sacrée autour de Faure Gnassingbé pour liquider les autres semble avoir du plomb dans l’aile depuis qu’en face, il n y a plus personne à « manger ».

 Comme dans tous les régimes autocratiques où la paranoïa est la chose la mieux partagée, le seul bénéficiaire du système se retourne vers les concepteurs qui représentent eux aussi de potentiels dangers. Le premier à en avoir fait les frais se trouve être un certain Colonel Didier Bawubadi Bakali.

Ancien Directeur général des Douanes togolaises, réputé très fortuné, aide de camp de Faure Gnassingbé, il était selon les dires, l’un des puissants du régime.  Mais la foudre du « petit » n’a pas tardé à s’abattre sur sa tête. Débarqué à l’improviste de son poste stratégique d’aide de camp, il a été catapulté à plus de 400 km de Lomé au poste de Préfet de la Kozah. Lorsqu’on a été Secrétaire de feu Eyadema, attaché militaire à l’Ambassade du Togo à Paris, DG des Douanes, aide de camp du Président de la République et qu’on finit comme un simple préfet, donc sous les ordres du ministre de l’Administration territoriale, avouons que c’est quand même une curieuse promotion, pour ne pas dire clairement un garage.

Le second de la bande qui semble avoir le feu au cul depuis un certain temps se nomme Alex Yotroféi Massina, le tout-puissant DG de l’ANR (Agence Nationale de renseignement), le Guatanamo togolais.  L’homme est réputé pour ses méthodes expéditives à la nord-coréenne. Dans son « royaume » où tous les coups fourrés sont montés et exécutés, il ne connait ni droits de l’Homme, ni justice. Casimir Dontema semble l’avoir rencontré en enfer, mais a refusé de lui serrer la main. L’évocation de son seul nom suscite une crainte inouïe. L’homme de toutes les conspirations et des exécutions des plans odieux ne serait plus en odeur de sainteté dans le système.

 Mohammed Atcha Titikpina, c’est le troisième larron du groupe. Ses méthodes ne sont pas différentes de celles de Yotroféi Massina. Officier sac au dos qui a gravi les échelons par le sale boulot pour se retrouver au sommet de l’armée, il est à la fois craint et haï par la majorité de ses frères d’armes. Celui qui se présentait comme un pilier essentiel du régime, se trouve depuis quelques mois dans une très forte zone de turbulence. Sa gourmandise, sa volonté de peser sur tous les événements, son ambition ont fini par agacer le locataire du Palais de la Marina. Depuis, il est placé sur la liste rouge et les oiseaux de mauvaise augure de la maison se chargent de révéler à l’opinion ses dessous pas trop propres. C’est ainsi qu’on procède avant l’estocade. Après les révélations sur la construction de son château, les détournements de fonds d’Interpol, la saisie des fonds des Libanais, la dernière information qui circule est qu’il aurait commandé discrètement des armes sans l’autorisation du sommet. A quelles fins? Le général Atcha Titikpina et Yotroféi Massina ont la particularité d’avoir formé le duo infernal qui a saisi à plusieurs reprises les fonds des commerçants à l’aéroport de Lomé dont une partie n’a jamais été retrouvée jusqu’à ce jour.

Il avait été chargé de donner l’assaut au domicile de Kpatcha Gnassingbé dans la nuit du 12 au 13 avril 2009 dans ce qui avait été baptisé secrètement  opération « base arrière 3 », et il s’est bien acquitté de son boulot. Mais seulement,  «le gros» a réussi à sortir vivant en dépit des dizaines d’obus qui sont tombés sur son domicile. Depuis, il est devenu un boulet aux pieds de Faure Gnassingbé. Lui, c’est le colonel Félix Abalo Kadanga. Ancien patron de la FIR (Force d’intervention rapide), il était très proche de Didier Bakali dont l’amitié remonte au collège militaire. Depuis la mise au garage de ce dernier à Kara, on avait prédit dans le système son départ de la FIR. C’est chose faite depuis puisqu’il est passé chef d’Etat major de l’armée de terre, reclus donc dans un bureau sans puissance de feu. De toute évidence, cela ne semble pas une promotion.

Tous ces hauts gradés en plus d’autres civils comme militaires gravitent autour d’une seule et unique personne, Ingrid Ataféinam Awadé alias « Navi Bettencourt » du système.  C’est la gardienne du temple, l’Agrippine des temps modernes qui a œuvré dans l’ombre à la chute de plusieurs personnalités politiques dans l’entourage de Faure Gnassingbé et le démantèlement des affaires de plusieurs opérateurs économiques.  Elle est bien généreuse financièrement, et nombreux sont les barons civils comme militaires qui sont à ses services à plein temps. Curieusement, selon des sources proches du sérail, elle serait sur le grill depuis un moment. Certains trouvent en  la création de l’OTR (Office togolais des recettes) une façon très habile pour le Prince de la pousser à la sortie. Déjà l’un de ses bras droits, le sieur Bassayi Kpatcha, DG de l’entreprise CENTRO qui a bâti la demi-douzaine de palais de Faure Gnassingbé sur l’ensemble du territoire, est dans le viseur pour des ouvrages mal effectués. La situation de la puissante dame de la République n’est pas du tout rose en ce moment.

La particularité de tous ceux que nous venons de citer, en plus de certains membres du réseau est qu’ils sont en passe d’être éjectés en douceur du système dont ils croyaient être des incontournables.  Bien évidemment, ce jeu très dangereux ne se déroule pas sans conséquence sur la solidité du système en place. C’est à l’aune de ces réalités qu’il faut analyser les réactions suite à la publication du rapport du CST et imaginer celui qui pourrait tirer profit de ce dossier.

Le curieux et inhabituel silence de  la hiérarchie militaire

Cela fait bientôt un demi-siècle que l’armée togolaise régente la vie politique du pays. Et en autant d’années, elle s’est rendue coupable de crimes et d’assassinats selon plusieurs rapports. Nonobstant la véracité de ces faits, la hiérarchie militaire n’a jamais reconnu son rôle dans certains événements malheureux de notre pays. A chaque fois qu’elle ou un de ses éléments sont mis en cause, elle brandit des communiqués musclés pour démentir les faits.

                Cela fait plus de trois semaines que le CST à mis sur la place publique un rapport mettant nommément en cause des hauts gradés des FAT dans l’affaire des incendies des marchés de Kara et Lomé. Un chef d’Etat major des FAT en fonction, un chef d’Etat major de l’armée de terre, un chef des renseignements et un ancien aide de camp de Faure Gnassingbé. Mais depuis, pas le moindre communiqué des FAT pour démentir les faits. Curieux et inhabituel de la part de cette institution. Ce silence est-il un signe de lâchage de ces hauts gradés déjà en butte avec le pouvoir ?  Ou l’institution prend-elle le temps de réfléchir à une réponse appropriée ?

De toute façon, c’est la première fois que l’armée togolaise observe un silence aussi pesant sur de graves accusations mettant en cause certains de ses officiers et pas des moindres.

Ingrid Awadé et le fameux compte facebook

Depuis quelques jours, de curieuses déclarations sur le compte facebook d’Ingrid Awadé en rajoutent à la polémique. D’abord c’est le 25 novembre 2013 que cette phrase est postée sur sa page : « Je vous invite à prier avec moi pour le Togo car il traverse des moments très difficiles », avec la signature Ingrid Awadé. Il n’en fallait pas plus pour que cela fasse le buzz sur le net. Bien évidemment, les charognards de la presse, théoriciens de la preuve se sont mis en branle  comme ils savent bien le faire pour des espèces sonnantes et trébuchantes, pour déclamer que ce compte facebook n’appartenait pas à « Navi Bettencourt ». Mais  il suffit de faire un tour sur la page pour s’apercevoir qu’elle est belle et bien au nom de cette dame et qu’elle regorge depuis longtemps des centaines d’amis, la plupart étant des impôts et du pouvoir.

Pour ceux qui ne le savent pas, en matière de réseaux sociaux, soit le compte est animé par le principal responsable ou ce qu’on appelle un « community manager », mais toujours sous le contrôle du principal responsable. Ainsi sur twitter, il arrive que ce soit Faure Gnassingbé lui-même qui parle ou son « cummunity manager », mais sous son contrôle puisque les déclarations emportent son entière responsabilité.  De plus, le débat à ce jour ne se pose pas, puisque dame Ingrid Awadé n’a sorti aucun communiqué pour situer l’opinion sur un quelconque piratage de son compte. Dans un pays où on est capable de pirater les boites électroniques des gens, suivre les mails, écouter les conversations téléphoniques,  qui oserait d’ailleurs le faire  sans se faire immédiatement traquer et arrêter par les renseignements qui sont à ses services ? En clair, l’authenticité de ce compte au nom de cette dame ne souffre d’aucun doute. Le 29 novembre dernier, toujours sur la même page facebook, elle revient à la charge : « Je ne suis impliquée ni de près ni de loin dans l’organisation criminelle des incendies des marchés de Kara et de Lomé. Il faut plutôt chercher du côté de certains responsables des Forces Armées Togolaises ». Ingrid Awadé, la puissante dame sous pression est-elle en train de lâcher les hauts gradés de son entourage ? En tout cas, c’est l’interprétation que certains se pressent de faire.

Selon plusieurs sources, suite à ce posting, la tension est vite montée d’un cran entre cette dernière et les hauts gradés. La solidarité dans le mal et la bêtise est en train de voler en éclats et bien malin celui qui pourra prédire la suite de ce feuilleton.

Une chose est certaine, avec la pression du CST qui exige que les vrais auteurs des incendies soient entendus par la justice, la sortie des évêques qui exigent que la lumière soit faite sur ces crimes odieux, il est plus qu’évident que la sérénité a déserté le camp des accusés au pouvoir. Faure Gnassingbé va-t-il se servir de ce fumant dossier pour se débarrasser  de ces barons encombrants de son entourage ? Une chose est certaine, avec autant de protagonistes dans la même barque qui veulent en découdre, on peut sans risque de se tromper dire que des jours sombres attendent le Togo.

Ferdi-Nando           journal  l’Alternative

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